Envie de devenir e-citoyen et de continuer à faire des affaires au sein de l’Union Européenne tout en habitant le Royaume-Uni, ou de créer une entreprise depuis la France dans un pays á la fiscalité avantageuse? C’est possible grâce à l’Estonie ! En effet, dès la chute du bloc communiste, le pays a misé sur les nouvelles technologies pour faire la différence par rapport à ses voisins et prouver sa légitimité à faire partie de l’Union Européenne. Mais depuis plusieurs années, l’Estonie va plus loin en mettant en place une véritable e-citoyenneté… et en allant faire les yeux doux aux entrepreneurs basés dans l’Union européenne, mais aussi hors de l’Union Européenne. Et ça a l’air de marcher !
Un projet étatique :
Le porte-parole du parlement Estonien, Eiki Nestor l’a déclaré : « le développement digital fait intégralement partie des réformes politiques, économiques et administratives portées depuis 25 ans. Les e-solutions rendent l’Etat plus simple, les services plus accessibles aux citoyens et les procédures de décision plus transparentes ».
L’idée est apparue dans les années 1990 lorsqu’à la chute du communisme, l’Estonie a réfléchi sur les moyens de se développer économiquement sachant que ses atouts étaient maigres : un petit pays, avec une population peu importante et des ressources naturelles faibles. Le développement d’internet fut perçu comme une aubaine et en 1996, un projet innovant nommé Tiigrihüpe (« Tiger Leap » ) fut voté. Son objet ? Donner la priorité aux infrastructures de la technologie de l’information notamment en mettant à disposition des centres de formation et des écoles des ordinateurs, et en formant les générations d’étudiants.
Ensuite, la législation a suivi et a permit la création d’infrastructure comme le projet d’ID-card et le « X-road », (assimilé à « l’épine dorsale de l’e-Estonie », c’est l’environnement qui permet aux différentes bases de données du pays de se connecter et d’opérer en harmonie, à la fois dans le secteur public et privé).
Le secteur privé a également rapidement compris où était son intérêt et les banques nationales ont développé des services en ligne qui étaient précurseurs par rapport à ce qui se faisait en Europe de l’Ouest.
En 2005, le pays fut donc le premier à organiser des élections par internet et en 2007, il se fit remarquer en se défendant contre une cyber attaque de grande envergure, ce qui lui a apporté une grande crédibilité et a justifié l’implantation du centre de cyber-défense de l’OTAN à Tallin.
Ce n’est donc pas un hasard si l’Estonie déclare en 2014 être le premier pays à offrir une e-résidence, c’est à dire à accorder une identité digitale transnationale à quiconque dans le monde a un intérêt à gérer une « société sans domicile fixe en ligne », l’e-résidence offrant « la sécurité et des services digitaux convenables qui facilitent la crédibilité et la confiance en ligne. » selon le portail officiel.
Simple comme un clic !
Quelle est la procédure à suivre pour devenir e-résident ?
- Faire une demande de e-résidence en ligne et venir ensuite chercher son ID-card à l’ambassade d’Estonie du pays de résidence.
- Contacter un « fournisseur de service de bureau virtuel » pour obtenir une adresse enregistrée en Estonie.
La e-résidence permet ensuite de :
- créer une compagnie estonienne en ligne en une journée, en utilisant le portail d’enregistrement des entreprises
- Ouvrir un compte dans une banque estonienne pour avoir accès à des services financiers.
- administrer l’entreprise partout dans le monde,
- profiter des avantages d’un e-banking
- commander à distance des transferts d’argent.
- Déclarer ses impôts en ligne.
Le e-résident peut ensuite :
- Signer digitalement des documents et des contrats
- Vérifier l’authenticité et signer des documents
- Crytper et transmettre des documents en toute sécurité
Bref, le e-résident peut conduire ses affaires tout en restant domicilié dans un pays non membre (ou membre) de l’Union Européenne.
Attention :
L’e-résidence n’accorde pas la citoyenneté estonienne, ni le droit de voter, ni le droit de résider ou d’entrer en Estonie ou dans un autre pays de l’Union Européenne. La carte ID du e-résident n’est pas non plus un document d’identification physique et n’est pas un document de voyage puisqu’elle n’arbore aucune photo d’identité.
De plus, son attribution n’est pas automatique : les demandes seraient contrôlées par différents services avant confirmation.
Un succès qui va aller en croissant :
En Avril 2016, l’Estonie a déclaré avoir déjà délivré plus de 10 000 cartes de e-résidence, la plupart des titulaires étant domiciliés en Russie, aux US ou en Ukraine. Les e-résidents auraient créés 500 sociétés en Estonie dont 129 seraient enregistrés comme payant la TVA et déclarant des impôts. Les compagnies auraient payé 1,5 millions d’euros en impôts locaux. Et le Brexit va certainement accélérer la tendance car l’Estonie y voit une formidable opportunité. En effet, l’Estonie surfe sur la vague et va jusqu’à marcher sur les plates-bandes de l’Irlande en essayant d’attirer les entrepreneurs soucieux de continuer à mener leurs affaires au sein de l’Union Européenne. « Nous offrons des avantages supérieurs à ceux que vous propose l’Irlande » clame le portail d’e-Estonie sans honte. Car avec le Brexit, l’Estonie cible directement les entrepreneurs anglais et leur promet de « pouvoir conduire leurs affaires du Royaume-Unis même après son départ de l’Union Européenne, comme s’ils étaient toujours dans un Etat membre de l’Union Européenne. »
Le nombre d’e-résidence venant du Royaume-Uni aurait d’ailleurs augmenté de 10% depuis l’annonce du Brexit.
Ne pas négliger les citoyens réels :
Bien sûr, des voix s’élèvent contre cette politique.
En effet, si les premiers e-résidents étaient des « estophiles » qui souhaitaient garder un contact direct avec le pays ou des journalistes qui voulaient écrire sur le concept, le cœur de cible a beaucoup changé ces dernières années et certains se demandent quel est le coût réel de ce projet. Or, il est difficile à évaluer puisque le programme sollicite différentes autorités comme le ministère des affaires économiques, le service de la sécurité intérieure, les services de douane, etc. Le budget serait de 325 000 euros, les dépenses restantes devant être couvertes par les coûts que doivent payer les e-résidents pour avoir accès aux différents services.
Et si de décembre 2014 à Février 2015, l’Etat a collecté 460 000 euros auprès des e-résidents, « l’entreprise Estonie » prévoyait de dépenser en 2015 environ 800 000 euros pour la promotion des e-résidences.
Est-ce donc une opération aussi rentable ? Certains doutent.
Le journal financier Äripäev a critiqué également dans ses colonnes une politique volontariste à deux vitesses. Il écrivait ainsi le 20 juin 2016 : « la bonne nouvelle est que depuis la semaine dernière, le parlement a adopté des amendements qui vont rendre la e-résidence plus accessible aux étrangers. Cela signifie que les e-résidents pourront ouvrir un compte en banque sans avoir besoin de se déplacer physiquement dans une banque. La bonne nouvelle, c’est que les estoniens résidents vont pouvoir faire la même chose… »
Le journal réclame donc que l’Etat fasse les mêmes efforts pour rendre l’e-résidence et l’e-service publics plus accessibles, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Estonie. Car au-delà de la e-citoyenneté, c’est toute une société digitale que souhaite développer l’Estonie en créant un système « ouvert et décentralisé qui lie ensemble plusieurs services et bases de données ». Mais la clé du succès se trouvant dans la confiance qui relie les citoyens à leur gouvernement, il s’agit pour ce dernier de ne pas privilégier ses citoyens virtuels au détriment de ses citoyens réels